Voici la présentation que j’ai faite, il y a de cela deux semaines maintenant. D’abord un petit mot d’explication : pourquoi avoir choisi de titrer sur Hadopi ? La raison est assez simple : cette année les débats autour de cette loi ont été particulièrement houleux en France. Et ont été très suivis par la blogosphère francophone. Mais cela ne touche pas le territoire belge, me direz vous. Je vous répondrai qu’à la SaBam, ils sont très attentifs aux débats de nos pays voisins et certainement en plus de ceux autour de Hadopi. Depuis toujours, l’homme a copié l’homme. C’est dans sa nature, l’enfance est basée, dans un premier temps sur la copie du comportements des autres. Il ne faut donc pas partir du postulat de base que copier c’est mal.

Dans les domaines qui nous intéresseront plus particulièrement aujourd’hui, ceux de la musique et ceux du cinéma, la copie n’a pas toujours été vue comme quelque chose de mauvais, que du contraire.

En Italie, le 11 avril 1770, Mozart et son père assistèrent à la chapelle Sixtine au célèbreMiserere d’Allegri. Cette œuvre était jalousement gardée par la maîtrise de la chapelle qui voulait s’en assurer l’exclusivité (d’ailleurs personne ne possédait de partition ni de copie de l’œuvre. C’était, de plus, interdit de tenter de s’en procurer une). Après cette unique audition, Wolfgang rentre chez lui et reproduit les neufs voix du Misere sur partition qui depuis à fait le tour du monde. La copie était alors du niveau du génie

Depuis les choses ont changé. Les enjeux économiques aussi.

Tant pour la musique et pour le cinéma, les années 80 ont été une charnière importante. Jusque-là la copie n’était que peu répandue. Avec l’apparition du Walkman en 1979 et de la cassette VHS un peu plus tard, la copie a commencé à devenir monnaie plus courante.

Mais il n’y avait pas encore de quoi fouetter un chat. La qualité des copies n’était pas génial et les réseaux de diffusion de celles-ci n’étaient pas encore très étendus. Concernant les gros réseaux, la police était capable d’en démanteler certains.

Néanmoins, le phénomène commençait à prendre de l’ampleur et le CD faisait son petit bonhomme de chemin. Au début des années 90, le CD s’est démocratisé et a été suivi par le DVD à la fin de cette décennie. La copie illégale a à ce moment-là pris une place très importante mais celle-ci restait encore assez facilement attaquable en justice dans les cas de gros trafic avéré…

Mais voilà avec l’avènement d’Internet fin des années 90, les vannes ont complètement été ouvertes. Des millions de personnes se sont mis à partager de la musique online. Comme tout le monde le sait, tout était accessible de partout dans le monde et il ne fallait pas être un réseau pour faire des milliers de copies de musique ou de films.

Rappelez-vous de Napster. Le service original a fonctionné entre juin 1999 et juillet 2001. Sa technologie a permis aux gens d’échanger facilement des chansons au format MP3, ce qui a conduit l’industrie musicale à porter des accusation de violation massive du droit d’auteur. C’est là que le bras de fer a commencé.

Le logiciel est retiré en 2001, après 2 ans de procédure judiciaire aux États-Unis pour infraction à la législation sur le droit d’auteur.

D’autres sites ont suivi. Et d’autres. Et d’autres.

A l’époque, les industrie de la musique et du cinéma ne jugent pas intéressant d’ouvrir des plateformes où ils proposeraient leurs contenus à leur clients. Leurs économies se portent bien et ne voient pas l’utilité d’étendre leur offre, ne voulant pas tuer la poule aux œufs d’or.

Ils doivent s’en mordre les doigts puisque maintenant, c’est un marchand d’ordinateurs qui vend leurs contenus à eux…

En attendant, iTunes Store n’a été lancé qu’en 2003 aux USA et il a fallu 2 ou 3 ans pour que le store propose des contenus en ligne sur les autres continents.

Ce qui fait que les internautes n’ont pendant 4, 5, 6 ans pas eu de véritables possibilités d’acheter de la musique online alors qu’il y en avait à profusion gratuitement sur de nombreux sites.

Sites que les majors tentaient et, souvent, réussissaient à fermer.

Des habitudes se sont crées auprès d’une bonne tranche d’internautes jeunes et moins jeunes. A la SaBam, ils appellent cela la génération perdue, celle qui ne comprend pas qu’il faille payer, d’une manière ou d’une autre, la musique.

Ces poursuites se sont avérées être souvent très couteuses pour les majors. La pression a de plus en plus été mises sur le gouvernement pour que ceux-ci fassent appliquer les législations existantes et que, par ailleurs, ils les amendent, les musclent voire en inventent de nouvelles.

En effet avant de vouloir tout révolutionner, il ne faut pas oublier que toutes les productions musicales et cinématographiques sont protégées par le droit d’auteur ou par des brevets.

Pour rappel (Wikipédia) : Le droit d’auteur est l’ensemble des prérogatives exclusives dont dispose un créateur sur son œuvre de l’esprit originale. Il se compose d’un droit moral et de droits patrimoniaux.

  • Le droit moral protège l’intégrité des œuvres et reconnaît la paternité de l’auteur sur ses créations.

  • Les droits patrimoniaux assurent à l’auteur un monopole d’exploitation économique sur ses œuvres. L’auteur a le pouvoir d’autoriser ou d’interdire toute communication, reproduction ou adaptation de ses créations. Les droits patrimoniaux ne sont accordés que pour une durée limitée, fixée à 50 ou 70 ans après la mort de l’auteur dans la plupart des pays. Au terme de cette durée, les œuvres entrent dans le domaine public et peuvent être utilisées librement par tous.

Le droit d’auteur s’applique dans les pays de droit civil (Belgique et France notamment). Il protège les œuvres de l’esprit originales, dès leur création, mêmes si elles sont inédites ou inachevées. Aucune formalité d’enregistrement ou fixation matérielle de l’œuvre n’est nécessaire pour bénéficier du droit d’auteur. Dans la plupart des pays, il n’est donc pas nécessaire d’inscrire la mention « tous droits réservés », ni le symbole ©, qui ne servent qu’à indiquer que l’œuvre est protégée par le droit d’auteur, et non à conférer la protection juridique. Un enregistrement volontaire peut toutefois s’avérer utile pour prouver sa qualité d’auteur, ou pour faciliter la gestion collective des droits.

Évidemment, l’utilisation des outils législatifs n’est possible que dans les pays où sont hébergés les contenus contrefaits… Certains ont quand même eu de mauvaises surprises en se voyant condamnés à de lourdes amendes pour possessions de contenus copiés de manière illégale.

C’est que l’industrie du disque agite souvent quelques épouvantails aux gouvernements pour que ceux-ci fassent tout leur possible pour attaquer les contrevenants. Elle avance souvent que la copie illégale a un impact négatif sur l’emploi dans le secteur. « Il s’avère ainsi que « l’empreinte » économique en France de la copie illégale peut être estimée à une perte de 10.000 emplois » selon un rapport diffusé à la fin de l’année dernière.

Ce lobbying porte ses fruits dans certains pays.

On se souviendra du procès Pirate Bay, un site permettant l’échange de fichiers torrents. Il se déclarait « le plus grand serveur torrent du web », affirmant recevoir la visite d’un million de visiteurs par jour. En mai et juin 2006, il est régulièrement mentionné dans les journaux, car il symbolise la résistance contre les actions des majors d’Hollywood et une certaine réforme des droits d’auteur.

Le 31 mai 2006, le ministère de la justice suédoise a perquisitionné et saisi les serveurs du site. Une chaîne de télévision a diffusé des documents prouvant que la Motion Picture Association (association interprofessionnelle qui défend les intérêts de l’industrie cinématographique américaine en dehors des États-Unis. Les sept principaux studios américains en sont membres) est directement intervenue dans cette affaire, en menaçant directement le gouvernement suédois de sanctions financières à l’encontre de la Suède.

Sans entrer dans les détails : le procès s’est déroulé entre le 16 février et le 4 marss’est terminé par un verdict sans appel : 4 personnes ont été condamnées à un an de prison ferme et à verser 30 millions de couronnes (2,7 millions d’euros) de dommages et intérêts à l’industrie du disque, du cinéma et du jeu vidéo, qui réclamaient 117 millions de couronnes au titre du manque à gagner entraîné par les téléchargements. Ce procès a été suivie de par le monde.

Pour l’anecdote, le juge du procès, Tomas Norström, est membre de certaines organisations de protection des droits d’auteur. Il s’est défendu en déclarant que « son point de vue n’a pas été influencé par son investissement auprès des groupes de protection des droits d’auteur »

En France, un dossier a défrayé la chronique, celui de la loi Hadopi.

Tout a commencé en 2006, avec le vote d’une loi dite DADVSI pour Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information.

Ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale et le Sénat le 30 juin 2006, avant d’être examiné par le Conseil constitutionnel qui en a supprimé certaines dispositions. Le texte publié le 3 août 2006, prévoit des amendes d’un montant de 300.000 euros ainsi que 3 ans de prison pour toute personne éditant un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d’œuvres ou d’objets protégés, et jusqu’à 6 mois de prison et 30.000 euros d’amende pour toute personne diffusant ou facilitant la diffusion d’un logiciel permettant de casser les mesures techniques de protection (DRM, pour Digital Rights Management) qui selon ses défenseurs visent à empêcher les « copies pirates ».

Le projet de « licence globale », prévu en décembre 2005, n’a pas été retenu (mais reste au programme de plusieurs partis d’opposition), et le droit à la copie privée limité par les dispositifs DRM. La loi est officiellement applicable en France, certaines dispositions devant être précisées par les décrets d’application.

Cette loi s’est vite avérée inapplicable mais n’a jamais été supprimée. L’épée de Damoclès à 300.000 euros et les 3 ans de prison sont donc toujours présentes.

De cette loi est née la loi Hadopi ou loi Création et Internet. L’inefficacité de la première devait être effacée par la deuxième

La loi Création et Internet, au départ, avait pour but de :

  • créer une autorité publique indépendante, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).
  • instaurer une sanction administrative punissant spécifiquement le défaut de surveillance de son accès Internet contre l’utilisation de celui-ci par un tiers pour la diffusion d’une œuvre auprès du public sans l’accord ses ayant-droit (obligation créée par la loi DADVSI mais alors non assortie de sanctions).

  • mettre en œuvre ces sanctions selon la méthode de la « réponse graduée » : un mail d’avertissement en guise de premier rappel à la loi, puis un courrier d’avertissement par lettre recommandée, et la coupure de la connexion Internet en dernier ressort.
  • faire de cette autorité un intermédiaire entre l’ayant droit, chargé de fournir les adresses IP des abonnés suspectés d’avoir manqué à l’obligation de surveillance et le fournisseur d’accès à Internet, chargé d’identifier les abonnés et de procéder in fine à la coupure de leur accès Internet.

Mais voilà, en séance à l’Assemblée nationale. Il y a eu de très longs et de très houleux débats. L’incompétence de Christine Albanel, alors ministre de la Culture, est apparue comme un éléphant au milieu d’un magasin de porcelaine.

Pour l’anecdote, jamais les débats de l’Assemblée nationale française n’ont dû être autant suivi sur Internet.

Les crocs en jambe ont été très nombreux car la loi était très mal ficelée ;-)

  • la coupure de la connexion Internet pourrait aussi couper le téléphone et la télévision.

  • la surveillance des employés par leur employeur imposée par la loi comporte un risque de surveillance individualisée.

  • l’Hadopi pourra accéder à des données personnelles sans l’intervention d’une procédure judiciaire, ce que le Conseil constitutionnel a déjà rejeté

  • l’Hadopi pourra accéder à des données de trafic personnel, ce qui peut porter atteinte à la vie privée.

  • les plaignants auront le choix entre trois procédures pour porter plainte.

  • la limite entre la vie privée et la surveillance d’Internet n’est pas clairement définie.

  • l’envoi de courriers par la Haute autorité n’est pas obligatoire ; la connexion peut être directement coupée. Ce choix dans la sanction pourrait être arbitraire.

Le 11 mars 2009, le texte est examiné à l’Assemblée nationale où il a été modifié puis il est adopté le 2 avril 2009. Anecdote ;-)

Le 29 avril 2009, le texte revient devant l’Assemblée nationale pour une première séance, les débats sont houleux et la majorité estime qu’après quarante heures de débats, il n’y a plus lieu de discuter mais de voter. Des députés de la majorité opposants au texte, Christian Vanneste (rapporteur du projet de loi DADVSI) et Lionel Tardy, sont privés de micro durant cette séance.

Le texte du projet de loi a déjà fait entre-temps l’objet de plus de 500 amendements dont 200 amendements votés en seulement vingt minutes.

Mais en juin dernier suite à une plainte de l’opposition socialiste, il y a une censure partielle du Conseil Constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2009 (HADOPI 1) a estimé que la restriction d’un droit fondamental, tel que la liberté d’expression, ne pouvait être restreint par une simple autorité administrative, et que seul un juge et un procès équitable pouvait décider de le restreindre en constatant l’abus de celui-ci, tout en gardant une sanction proportionnée. Les nombreuses autres mesures prévues par la loi sont entrées en vigueur, comme par exemple : La personne titulaire de l’accès à des services de communication au public en ligne a l’obligation de veiller à ce que cet accès ne fasse pas l’objet d’une utilisation à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’oeuvres ou d’objets protégés par un droit d’auteur ou par un droit voisin sans l’autorisation des titulaires des droits prévus.

Le 24 juin, le projet de loi complémentaire Hadopi 2 est présenté en Conseil des ministres. Il a pour but de réintroduire le volet répressif de la première loi qui a été censuré par le Conseil constitutionnel.

La plupart des sujets de discorde ont déjà abordés dans la première loi :

  • La faiblesse de l’adresse IP en tant que preuve

  • Caractère disproportionné de la sanction reste proportionnée

  • La sanction s’applique au propriétaire de la ligne et non au téléchargeur qui peut avoir sciemment contourné une protection

  • La procédure accélérée était jusqu’alors utilisée lorsque les faits étaient difficilement contestables

Le gouvernement ne prévoit plus que 50.000 suspensions, mais elles mobiliseront plus de personnel puisqu’il faudra en plus 109 fonctionnaires dont 26 magistrats. Le gouvernement prévoit de créer 9 tribunaux spéciaux répartis sur la France.

Après le vote de la loi, plusieurs études montrent que le trafic Internet généré par le peer-to-peer est en baisse, alors que le but de la Hadopi était justement de punir les échanges de fichiers entre particuliers.

C’est le 22 octobre que le Conseil constitutionnel a validé cette loi.

Il va falloir voir s’il est possible d’appliquer cette loi. Ce qui n’est pas gagné ;-)

Une constatation : depuis dix ans que le téléchargement est devenue monnaie courante sur le Web, il n’y a ni de la part des majors ni des autorités publiques n’ont eu d’action positive (ou très peu) pour pousser les gens à ne pas télécharger illégalement de la musique ou des films.

Ils ont préféré passer du temps et dépenser de l’argent pour lutter contre la contrefaçon. Ce qui dont certainement être fait. Mais si on ne donne pas d’alternative raisonnable à l’internaute, il ne faut pas s’étonner d’être copié.

Les séries, par exemples. Certaines sortent aux USA et ne sont pas disponibles en Europe. Il n’y a pas d’autres moyens que de les télécharger ;-)

Précision : les nombreuses définitions et dates sont tirées de Wikipédia.